1 février 2011

La souveraineté de l'Afrique sera africaine ou ne le sera jamais

La souveraineté de l’Afrique sera africaine ou ne le sera jamaisPar Calixte BANIAFOUNA(*)


Après avoir beaucoup entendu des paroles, beaucoup lu des réactions et beaucoup vu des images liées à la triste issue de l’élection présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire, deux conclusions semblent faire le consensus entre « légalistes » voués à la cause de l’« isolé » Laurent GBAGBO (que nous appellerons « Constitutionnalistes » pour tenants à la Constitution ivoirienne), « légalistes » voués à la cause du très « reconnu » Alassane OUATTARA (que nous appellerons « Commissionnaires » pour Commission électorale indépendante) et « Neutres » qui sont soit indifférents, soit ignorants de l’Histoire du continent qui est en train de s’écrire sous leurs yeux.

Premier point de consensus : les enjeux d’une indépendance réelle en Afrique est en train de se jouer en Côte d’Ivoire. Cela semble d’autant vrai que, pour les Commissionnaires, rejoints dans leur cause par certains diplômés africains « relais » des médias français et certains chefs d’État installés et soutenus par la
France politique, l’intervention unanime de la communauté internationale, de l’ONU, du FMI, de l’UE, de l’UA, des puissances phares États-Unis, France politique et j’en oublie... en faveur du candidat présumé vainqueur est une véritable révolution. Cette intervention signifierait, pour les Commissionnaires, que plus jamais des élections en Afrique ne seront l’apanage des dictateurs ou de la France politique seule qui, à son gré et depuis 50 ans, installe, désinstalle ou soutient à vie un candidat de son choix. Alors, ne pas bondir sur l’occasion qu’offrent à l’unisson la communauté internationale, les puissances occidentales et les institutions internationales serait synonyme de condamnation de l’Afrique à vivre éternellement sous le règne des dictateurs : Laurent GBAGBO serait donc le pire ennemi de la souveraineté réelle qui pointe à l’horizon de l’Afrique. Ils crient à la honte pour l’Afrique et les Africains !

Pour les Constitutionnalistes, qui ne croient pas un seul instant à une révolution venue d’outre-frontières d’Afrique, le soutien à un candidat par le reste du monde ne diffère pas du soutien que la France politique a toujours apporté et continuera à apporter à ses candidats préférés, avec la seule différence, cette fois-ci, que, grillée sur l’« affaire Côte d’Ivoire » qu’elle a gérée en juge et partie depuis 2002, la France politique aurait sollicité l’aide de l’ONU (de la même manière que l’ONU fut sollicitée en 1960 pour aider certaines puissances occidentales à assassiner LUMUMBA) et de ses principaux alliés pour essayer de parvenir à ses fins au nom du respect de la démocratie : Alassane OUATTARA serait donc un bienheureux nouveau
venu parmi les dirigeants dociles à la France politique qui au Congo Brazzaville, au Gabon, au Cameroun, en Centrafrique, au Tchad, au Togo, au Burkina Faso (sauf sous SANKARA)... tiennent depuis 50 ans et de mains de fer l’Afrique, tout au service de l’ancienne métropole et de leurs intérêts individuels.

Pour les Neutres -au sein duquel on ne compte pas seulement que les Africains incultes ou illettrés, nombre d’entre eux sont soit résignés sur le terrain, convaincus que la situation de l’Afrique ne changera plus jamais, soit installés en Occident (leur nouvelle patrie) -le bonheur ou le malheur de l’Afrique ne leur
concerne plus. Pour ces derniers, l’essentiel c’est qu’ils aient acquis leur minimum vital, leur résidence privée voire leur statut de membre du parti politique local, leurs enfants poursuivant tranquillement leurs études, et leurs familles restées en Afrique recevant le transfert d’argent, ils trouvent même aberrant que l’on contrariât la parole du Grand Blanc ou bien celle du Guide Suprême de leur pays d’origine : « il faut se taire, un point c’est tout ! », et ne s’occuper que de ses oignons.

Deuxième point de consensus : la démocratie a beaucoup de mal à s’installer en Afrique. Je pars d’abord du postulat selon lequel la quasi totalité des institutions des pays africains, anciennes colonies françaises, sont calquées sur le modèle « copier-coller » des institutions françaises. Si ce postulat est admis, il permet
aux uns et aux autres de tirer la couverture électorale en leur faveur.
Pour les Constitutionnalistes ivoiriens, l’élection d’un président de la République fait appel à la démarche décrite par la Constitution, et qui stipule : « Le déroulement de l'élection présidentielle est fixé par la Constitution ivoirienne… Les résultats du scrutin sont proclamés par le Conseil constitutionnel qui a
également la charge de veiller à la régularité de l'élection. » La Constitution ivoirienne, gage de la souveraineté du pays, tout comme celles d’autres pays sous influence française en dépit de leurs incontestables imperfections dues à l’apprentissage de la démocratie, n’échapperait donc pas à cette contrainte forte (« proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel qui a également la charge de veiller à la régularité de l’élection »), et les deux candidats au deuxième tour se seraient convenus d’en respecter strictement l’application.

Pour les Commissionnaires, il y a un hic ! : les anciennes colonies, parce que, justement, jugées immatures en démocratie, passent par une étape intermédiaire, la présence d’observateurs étrangers à la Commission électorale indépendante (CEI). Cette dernière instance, parce que soutenue par la France politique et les États-Unis qui seraient des démocrates modèles et pur sang, fait foi de Constitution, et ses décisions tiennent lieu de contrainte forte : « le candidat proclamé par la CEI, qu’importe l’irrégularité de l’élection, est donc déclaré président de la République », reconnu de surcroît comme tel par la communauté internationale. De toute façon, si l’élection présidentielle s’est bel et bien tenue dès le premier tour sur la base de la Constitution ivoirienne, il ne saurait être le cas quant au résultat final, Alassane OUATTARA, communauté internationale, États-Unis, France politique… se souvenant d’ailleurs en dernier ressort que cette institution est une propriété privée de Laurent GBAGBO qui, seul, ne peut qu’en tirer bénéfice. Ses
décisions seraient donc nulles et de toute nullité.

Pour les « Neutres », ce qui se passe en Côte d’Ivoire, si, toutefois, par le pur hasard de curiosité, ils en étaient au courant est sinon franchement le cadet de leurs soucis, du moins une affaire ivoiro-ivoirienne.

De cet état des lieux sur la Côte d’Ivoire découle la problématique en trois points d’une Afrique dont les puissances occidentales, dans une hypocrisie éhontée et décomplexée, exhortent le « développement par les Africains eux-mêmes » en faisant tout pour les empêcher.

Primo, la Côte d’Ivoire servirait-elle de modèle à la France politique -qui a reçu l’adhésion de ses alliés ainsi que celle de la communauté internationale -pour mettre définitivement fin à ses ingérences dans la politique de ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne ?

Difficile de le croire d’autant plus qu’aucun signe de rupture ne vient de la France politique qui, au contraire, n’a jamais cessé de renforcer son influence sur un chantier encore bien plus maîtrisé qu’il ne l’a jamais été en 50 ans d’indépendance. En Afrique centrale, par exemple, seuls deux chefs d’État ont été élus à la régulière durant ces 50 ans (Pascal LISSOUBA du Congo Brazzaville et Ange Félix PATASSÉ de la République Centrafricaine) mais ils n’ont pu terminer leur mandat car chassés manu militari du pouvoir par l’Élysée de Jacques CHIRAC.

Le Congo Brazzaville est dirigé depuis 26 ans par Denis SASSOU NGUESSO, un enfant docile que la France politico-affairiste a installé au moyen de coup d’État, réinstallé par une guerre très meurtrière, après avoir été vomi par son peuple, et maintenu au pouvoir par des moyens détournés (truquage des élections aidé par Nicolas SARKOZY, lobbying, etc.).

Le Gabon est devenu une dynastie suite à la mort d’Omar BONGO ONDIMBA qui a régné 42 ans sans partage à la tête de ce pays, aujourd’hui dirigé par son fils Ali BONGO que l’Élysée de Nicolas SARKOZY a installé au pouvoir par une banale opération d’inversion des résultats électoraux (inversion reconnue par Hilary CLITON [révélation WikiLeaks] dont l’oeil n’était pas aussi clairvoyant au Gabon
qu’il ne l’est aujourd’hui en Côte d’Ivoire).

Le Cameroun est dirigé depuis 28 ans par Paul BIYA, installé par des moyens détournés par la France politique, qui l’a toujours soutenu.

La Centrafrique est dirigée depuis une décennie par François BOZIZÉ, que la France politique a imposé au pouvoir par les armes et l’y maintient par des moyens détournés.

Le Tchad est dirigé depuis 10 ans par Idriss DEBY, un chef de guerre installé par les armes, que la France politique maintient au pouvoir par des moyens détournés et en matant rébellion sur rébellion (intervention directe de l’armée française sous Nicolas SARKOZY).

Le Togo est devenu une dynastie suite à la mort du redoutable Étienne GNASSINGBÉ EYADEMA, qui a terrorisé pendant 32 ans un peuple aujourd’hui à la solde de son fils Faure GNASSINGBÉ que la France politique a installé et soutient au pouvoir par des moyens détournés (spectacle télévisé en direct du transport des urnes par les militaires pour faire le comptage au palais présidentiel et proclamer vainqueur l’élève docile : un non-événement pour la communauté internationale). À croire que les Togolais soient suffisamment naïfs pour continuer à acclamer le fils de leur bourreau !

Le Burkina Faso est dirigé depuis 24 ans par Blaise COMPAORÉ, installé par les armes et maintenu par la France politique en prime de sa bravoure d’avoir assassiné de façon lâche et ignoble Thomas SANKARA, ce patriote africain qui, après LUMUMBA, a osé réclamer la souveraineté du peuple africain.

Autant de dossiers auxquels la communauté internationale, l’ONU, le FMI, l’UE, l’UA, la CEDEAO, les États-Unis, la France politique… devront rapidement mettre sur la table pour le triomphe de la démocratie comme ils veulent l’imposer en Côte d’Ivoire.

Secundo, un peuple peut-il se développer quand ses moindres efforts sont constamment anéantis par la loi du plus fort ?

La lecture de la crise ivoirienne tombe à point nommé pour relever bien des curiosités dans le traitement des principes qui régissent les libertés élémentaires selon que le dirigeant africain qui est censé les incarner a un penchant ou non, non pas vraiment vers le peuple qu’il représente mais vers la défense des intérêts occidentaux. C’est ainsi que, contrairement à ce qui s’observe actuellement dans des pays comme le Congo Brazzaville, le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, le Togo ou le Burkina Faso où le peuple semble « accoutumé » à vivre plutôt la dictature comme une condition normale de son existence, le peuple ivoirien, lui, a senti depuis 2002 le parfum d’une souveraineté nationale (qu’il lui est difficile d’enlever aujourd’hui) en ayant bravé à main nue parole, acte et arme du prédateur-ancien colonisateur. Dans le cas de la Côte d’Ivoire qui nous occupe, on est en droit de se demander pour qui profiterait la démocratie qu’on cherche à imposer à un peuple qui, par des actes totalement spectaculaires, sous les caméras nationales ou
étrangères, roule plutôt en faveur du vaincu présumé et non pas de l’homme qu’il vient d’élire :

-refus catégorique de manifester, serait-ce dans le fief électoral du vainqueur présumé,

-refus d’obtempérer aux mots d’ordre de désobéissance civile et de grève lancés pourtant de façon insistante par le vainqueur présumé,

-refus de ralliement par l’armée loyale en dépit d’invites répétées à s’incliner sous les ordres du vainqueur présumé,

-peur de se voir plutôt être dirigé par le vainqueur que par le vaincu présumés,

-fidélité absolue plutôt au vaincu qu’au vainqueur présumés, même sous la menace et les intimidations des forces internationales…

Drôle d’élu du peuple ivoirien ! Énorme soutien de la communauté internationale ! Cette démocratie à deux vitesses imposée ici avec le coeur de pirate et empêchée là-bas avec le coeur d’amour est-elle vraiment celle à laquelle aspire le peuple africain dont le sang, la souffrance et la misère restent les seuls points de
convergence des deux tempéraments de ceux qui l’imposent ou l’empêchent selon le cas ?

Tertio, le mot « démocratie » n’est-il enfin qu’une arme de chantage du plus fort, chaque fois qu’il veut protéger ses intérêts stratégiques, pour faire plier le plus faible par tous les moyens à sa disposition (chantage, mensonge, manipulation, force armée, confiscation de biens, embargo, gel des avoirs, interdiction de visas, etc.), et non une aspiration vers le bien-être du peuple africain ?

Il y a bien lieu de le croire quand on regarde la facilité avec laquelle la France politique a réussi à monter un complot international contre la Côte d’Ivoire en ayant rallié à sa cause (au nom des principes démocratiques qu’elle est la première à bafouer dans ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne), des plus grands (ONU, UE, Etats-Unis, etc.) aux plus petits (UA, CEDEAO, rares chefs d’État africains élus à la régulière, etc.), toute la communauté internationale contre un homme, Laurent GBAGBO, dont l’animosité, la haine et le mépris des dirigeants français (de gauche comme de droite) n’est plus un secret de polichinelle depuis son élection en 2000 pour avoir osé dire « NON » à l’oukase de la Françafrique.

En ayant exposé au grand jour contre un homme le harcèlement, les humiliations, les injures, l’acharnement, la cruauté, la haine, la propagande des médias qui se limitaient jusque-là dans les couloirs de l’Élysée chaque fois que celle-ci voulait installer ou désinstaller un chef d’État en Afrique (voir documentaire Françafrique, un film de Patrick BENQUET), la France politique vient de mettre à nu les faiblesses d’un système caduc qui ne fait que trop de mal au peuple africain et retarde son développement.

Le refus du dialogue proposé par Laurent GBAGBO aux donneurs de leçons (parfaitement consciencieux du hold-up électoral en Côte d’Ivoire) (dialogue toléré partout ailleurs comme aux États-Unis où, suite à la contestation des résultats par l’un des deux candidats, Al Gore et George W. BUSH, l’on a dû attendre un mois pour connaître le vainqueur), la précipitation dans la prise des sanctions pour éviter de voir la vérité en face, les actes de grande haine à la limite de l’infantilisation (saisie en France politique de l’avion présidentiel ivoirien…), la propagande en boucle par certaines chaînes de télé françaises, l’incitation à la haine par les envoyés spéciaux français à Abidjan à la solde d’Alassane OUATTARA, la pression teintée de menaces faite par Nicolas SARKOZY à ses loyaux serviteurs africains qui hésiteraient d’aller « déloger (le terme est le leur) » Laurent GBAGBO, l’appel incessant à la violence par le larbin postulant à la Françafrique… participent de ce schéma de recadrage de la domination du peuple africain par la France politique.

Le complot international ourdi par la France politique et tous ceux à qui elle dû promettre gros contre la Côte d’Ivoire doit permettre aux Africanistes de prendre immédiatement rendez-vous avec leur destin.

Cela passera par une organisation cohérente d’un mouvement de mobilisation autour de braves hommes intègres comme Jerry John RAWLINGS, Alpha Oumar KONARÉ… et la jeune génération montante non éligible au statut de « relais médiatique occidental » ou de « loyaux serviteurs » de la Françafrique décomplexée, et de mettre en place un cadre de souveraineté africaine par les mesures suivantes :

- faire jurisprudence du précédent que la France politique vient de créer en Côte d’Ivoire en se mobilisant pour exiger à la communauté internationale le démantèlement du dernier bastion de la dictature qui demeure unique du genre en République démocratique du Congo (d’où est né le principe Onusien d’élimination des Africains gênants), au Congo Brazzaville, au Gabon, au Cameroun, en Centrafrique, au
Tchad, au Togo, au Burkina Faso…

- définir une politique monétaire africaine en changeant le franc CFA (monnaie en totale dépendance du Trésor français et source de domination, qui ne se justifie plus depuis l’apparition de l’euro) et en créant une monnaie de l’Union africaine comparable à l’euro pour les Européens,

- définir un nouveau partenariat (révision de tous les accords) pour pallier au privilège d’un dominateur qui, depuis plus de 50 ans, cause plus de souffrances au peuple africain qu’il ne l’aide à sortir de la misère créée par tout ce qui vient d’être dit ci-dessus du système Françafrique,

- revoir le positionnement de l’Afrique dans des institutions à la solde des plus puissants comme l’ONU qui, aujourd’hui, à la tête du complot en Côte d’Ivoire (non désarmement de la rébellion, complaisance électorale dans la zone rebelle, parti pris en faveur d’un candidat préparé et conditionné plusieurs années à l’avance, caution à la violence, etc.) a plus divisé le peuple ivoirien qu’elle n’a assuré sa mission de paix dans le monde et nous montre au jour le jour que les droits de l’Homme sont strictement liés aux intérêts des plus forts (tant pis pour les nombreux crimes commis par les larbins qui jouent le jeu de l’Occident en Afrique : assassinat de SANKARA, disparus du Beach de Brazzaville, nombreux morts de guerres de prise ou de maintien du pouvoir au Congo Brazzaville, en RCA, au Tchad, au Togo, etc., et bonjour la Cour pénale internationale aux insoumis…).

Si toutes ces mesures ne sont pas prises dans les plus bref délais, ce passage en force de la France politique en Côte d’Ivoire -entérinée de surcroît et à l’unanimité par la communauté internationale (France politique, États-Unis en l’occurrence), les alliés occidentaux, les pantins de la Françafrique et les institutions satellites occidentales et africaines -, risquerait d’enfoncer encore pour bien longtemps les anciennes colonies francophones dans un néocolonialisme beaucoup plus dramatique que celui qu’elles ont toujours subi depuis ces 50 dernières années.

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(*) Calixte Baniafouna est auteur de plusieurs livres d'analyse politique, économique et historique.

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