29 janvier 2011

Révolution tunisienne, quels enseignements en tirer ?

Révolution tunisienne, quels enseignements en tirer ?
 
La Boëtie avait raison de s'étonner de l'attitude de peuples entiers des bourgs, et des villages, des millions de personnes acceptant de subir le joug d'un seul dont la force ne tient qu'à leur obéissance et à leur passivité devant la méchanceté d'un seul. « Quel est ce vice, ce vice horrible, de voir un nombre infini d'hommes non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés, n'ayant ni bien ni parents, ni enfants, leur vie qui soient à eux? De les voir souffrir les rapines, les paillardises, les cruautés, non d'une armée, non d'un camp barbare contre lesquels chacun devrait défendre son sang et sa vie, mais d'un seul! Non d'un hercule ou d'un Samson, mais d'un hommelet souvent le plus lâche, le plus efféminé de la nation, qui n'a jamais flairé la poudre des batailles ni guère foulé le sable des tournois, qui n'est pas seulement inapte à commander aux hommes, mais encore à satisfaire la moindre femmelette! » écrivait-il dans son célèbre Discours de la servitude volontaire, révolté et incitant à la révolte contre toute forme d'oppression. Cette injonction à la révolte et à la subversion n'est sans doute pas tombée dans l'oreille d'un sourd quand il s'agit du peuple tunisien et, bien entendu ,de plusieurs autres peuples avant lui (Anglais, Américains, Français, Russes et certains décolonisés entre autres).

Un principe de stratégie militaire recommande de ne jamais pousser un ennemi dans ses retranchements, le désespoir et le fait de n'avoir plus rien à perdre le ferait se bagarrer avec une ardeur redoublée, capable d'amocher sérieusement l'armée ennemie qui l'accule. Il faut donc toujours lui laisser un moyen soi de se rendre soi de fuir. Si cela est surtout une réalité de la guerre classique, ça n'en n'est pas moins une de la gestion de toute structure sociale à plus forte raison d'un État. Oppressée, affamée confrontée à un rude chômage la privant de tout avenir viable, la jeunesse tunisienne telle cet ennemi acculé s'est retournée contre ses poursuivants pour mener le combat héroïque qui, on l'a vu, a eu raison du puissant dictateur Ben Ali.

Ce changement en Tunisie peu de gens s'attendaient à le voir arriver de cette façon, surtout pas du fait d'une jeunesse dont les revendications n'ont été considérées que du point de vue matériel montre que l'aspiration a la liberté et à la souveraineté du peuple, donc à la démocratie n'appartient pas seulement aux peuples situés sous certaines latitudes et seraient négligée par d'autres. Il n'y a pas en ce monde de culture imperméable « aux valeurs universelles qui ne sont un luxe réservé aux Occidentaux » (Laurent Joffrin, éditorial de Libération du 17 janvier 2011). Les autres n'ont qu'à se débrouiller avec des régimes déshumanisants pourtant décriés et honnis par les peuples auxquels ils ont en principe le devoir d'apporter toujours mieux, ce n'est pas bien grave; ne son-ils pas un peu moins lotis en humanité?
 
Pour des questions de stabilité les éclaireurs de conscience, les vielles démocraties occidentales avaient pensé que les régimes autoritaires arabes garantissaient la stabilité dans leurs pays que lorgnait l'islamisme et l'obscurantisme. Une bonne raison pour s'en accommoder, je n'en doute pas. Mais en Tunisie après une brutalité policière de trop ayant poussé un jeune à s'immoler par le feu, le peuple avait décidé que ça se passerait autrement. Il fit entendre sa voix, bravant une répression violente et meurtrière. En bonne amie des dictatures et du statut quo politique, le pays du comte de Montmorency, de La Fayette et du duc de La Rochefoucauld d'Anville, illustres soldats Français de la guerre d'indépendance américaine, proposa d'envoyer non pas une équipe capable de faire entendre l'opportunité d'une amélioration du régime à l'ami Ben Ali, mais plutôt des experts ès maintien de l'ordre. Encore heureux que cette idée géniale ne soit demeurée qu'une idée, quelle honte autrement !

En occident on argue du refus de toute ingérence dans les affaires d'un État souverain pour expliquer la passivité des démocraties occidentales pourtant connues pour leur ambition d'installer partout un régime qui convient le mieux à l'universalité de la condition humaine assoiffée de dignité et de liberté. Il s'agit plutôt d'un refus de froisser un régime ami que d'une prudence face à l'ingérence qui on le sait est à géométrie variable. On la pratique volontiers en faisant foin des principes de souveraineté internationale ou de la stabilité. On s'y donne allègrement en Côte d'Ivoire, en Iran (réélection douteuse de M. Ahmadinejad), mais pas en Tunisie, pas au Burkina, pas dans l'injustice israëlo-palestinienne, pas au Congo-Brazzaville, pas au Gabon. La « révolution orange » d'Ukraine a pourtant bénéficié d'un massif soutien américain et de la sympathie des autres gouvernements occidentaux. L'amitié et les intérêts qui les lient aux tenants de certains régimes dont l'injustice et la corruption ne sont ignorés de personne, sous lesquels croupissent de braves populations, servent de caution à des pratiques que ces grands démocrates combattent ailleurs avec acharnement. Si l'intérêt est universel, la démocratie et les droits de l'homme ne le sont pas, l'attitude de leurs plus grands promoteurs mais piètres défenseurs ne le prouve que trop. Drôle de doctrine pour des pays dont le respect des principes républicains et citoyens voulus exportables et transposables à toute l'humanité, placés au sommet de la hiérarchie des lois, ne se limite qu'à leurs citoyens propres et à quelques élus par delà leurs frontières.

Les tunisiens ne sont sans doute pas les seuls à vouloir mettre en pratique les recommandations d'Étienne de La Boëtie, quoique avec des chances de succès différentes, d'autres leur ont emboité le pas. Mais je doute que les choses soient transposables dans notre pays le Congo où, dans des proportions bien plus effrayantes qu'en Tunisie, la faim, l'inexistence de perspectives, les conditions de vie misérables sont devenues les seuls amies des populations. Le cloisonnement ethnique si fort dans notre pays, divisant les congolais en deux grandes entités ayant chacune ses satellites, constitue un frein non négligeable à toute action populaire. On est d'abord de telle ou telle ethnie, de tel ou tel coin avant d'être congolais. La logique imbécile de l'ethnie rallie des populations qui souffrent au même titre que celles à qui leurs différences les opposent à un pouvoir qui pourtant fait le même sort à tous les congolais sans considération de l'appartenance des uns ou des autres à l'ethnie de l'homme fort. Une partie de la population se soulèverait, et pour peu que les leaders de la contestation soient en majorité d'un bord, les autres, sans penser aux raisons d'une action à laquelle ils auraient pourtant intérêt à participer se sentiraient peu ou pas concernés en raison de la division ethnique que les mêmes souffrances n'arrivent pas à enrayer. Pour le moment, ça passera avec de la pédagogie et un peu d'intelligence, ce peuple, entité se considérant hétérogène et divisée en intérêts contradictoires est incapable d'efficacité quant la mise en place d'une dynamique de changement qui exige d'avancer en rangs serrés.

Par Dominique Ngoïe-Ngalla
Né en 1943 à Kimvembé (Congo), Dominique Ngoïe Ngalla est professeur de Lettres et écrivain.


SOURCE : http://reflexions-actuelles-dnn.blogspot.com/2011/01/crise-tunisienne-quels-enseignements-en.html

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