8 février 2011

[Maghreb] Quand les puissances occidentales feignent de découvrir leurs alliés dictateurs


Lundi, 07 Février 2011 22:06 Jean-Chrios Moukala



Alors même qu'il est de notoriété publique que nombre de dictatures dans les pays pauvres n'ont prospéré et ne continuent à prospérer que grâce à la complicité objective des puissances occidentales, ces dernières, prises de court par le vent de contestation qui souffle actuellement dans certains pays du Maghreb (et peut-être demain en Afrique subsaharienne ?), feignent dorénavant de découvrir avec effroi les côtés peu reluisants de leurs alliés d'hier. À savoir qu'ils n'étaient que d'effroyables et sanguinaires dictateurs…

Toutefois, ce brusque revirement, qui en réalité, n'a pour objectif que de tenter de dissimuler la coresponsabilité irréfutable qui est la leur, dans le maintien au pouvoir pendant tant d'années de ces épouvantables dictateurs ne trompent personne. Ces puissances occidentales sont au même titre que leurs désormais encombrants ex-alliés responsables des malheurs subis durant toutes ses années par ces vaillants peuples aujourd'hui en révolte. Ni leur fausse compassion, ni leurs faux messages de soutien, et encore moins leurs pieuses promesses de blocage des avoirs de ces pitoyables satrapes ne peuvent faire oublier leur complicité.

La liberté que tentent de conquérir, au prix de leur vie, ces vaillants peuples sera demain uniquement et avant tout le fruit de leur propre lutte et de leur sacrifice. La fausse sollicitude dont ils font l'objet actuellement de la part des puissances occidentales vise, au-delà de la volonté de dissimulation de la coresponsabilité de ces dernières, de permettre à ces mêmes puissances de contrôler de nouveau, dans une certaine mesure, le processus de changement en cours.  

Les atteintes ignobles aux droits de l'homme qui étaient devenues monnaie courante dans ces sociétés, les exactions de toutes sortes, les brimades, les privations et autres humiliations, bref la prévarication de ses pouvoirs, étaient bien connues depuis longtemps de la part de ceux-là même, qui par pur opportunisme géopolitique, feignent aujourd'hui de s'émouvoir…



Après avoir pendant longtemps privilégié ce qu'ils qualifiaient hypocritement, encore hier, de « stabilité politique » de ces pays (peu importait le prix payé par les populations concernées), au profit exclusivement de leur sécurité (approvisionnements en matières premières et intérêt géostratégique) et de leur confort (tourisme de masse et à bas prix), les puissances occidentales tentent désormais, face à l'ampleur des mouvements de contestations des pouvoirs incarnés par leurs alliés d'hier, au mieux de récupérer ces mouvements en feignant l'indignation, ou au pire de les endiguer en suggérant à la hâte des transitions politiques aux contours indéterminés…

Des attitudes qui ne sont, bien entendu, pas à la hauteur de la soif inextinguible de liberté et de démocratie qu'expriment, au prix de leurs vies, ces vaillants peuples aujourd'hui en lutte. La seule et véritable modalité de prise en compte réelle (au-delà des mots) des aspirations profondes de ces peuples meurtris par tant d'années d'injustices consisterait à faire en sorte que : « le bien-être et la sécurité des puissances occidentales cessent de continuer à n'être considérés que comme ne pouvant résulter que des malheurs et de l'insécurité des pays pauvres… ».

Et c'est très précisément cette vision tronquée qui est aujourd'hui, du moins en partie, à la base des tensions et de l'insécurité grandissantes dans le monde. La seule lutte contre le terrorisme international et les simples stratégies d'endiguement de l'instabilité politique via le soutien apporté aux régimes les plus autoritaires ne sauraient nous mettre à l'abri, pour longtemps, de cette sourde colère légitime qui monte des entrailles de tous les laissés-pour-compte de l'humanité, ces damnés de la terre comme le disait Frantz Fanon…

La notion de la garantie de la stabilité politique de certains pays ayant été en réalité l'assurance-vie qui a permis très précisément le maintien pendant tant d'années de certains de ses pouvoirs aujourd'hui honnis par tous, il convient dorénavant la récuser pour toujours. L'heure est certainement venue pour que les puissances occidentales, qui dirigent en réalité, au gré de leurs seuls intérêts, le monde prennent enfin en compte, et pour une fois de manière sincère et non duplice, le droit des autres peuples aussi, et en particulier ici de ceux vivant dans les pays pauvres, de vivre dans la dignité et la sécurité.

Qu'il faille, avec bienveillance mais surtout neutralité, accompagner les mouvements de contestations actuels dans les pays du Maghreb, et peut-être demain en Afrique subsaharienne, cela va de soi, mais les endiguer, comme cela a déjà été le cas par le passé des indépendances politiques et tout récemment encore des conférences nationales souveraines africaines, en maintenant toujours par tous les moyens le statut quo, serait suicidaire pour l'avenir du monde.   N'oublions jamais, comme le soulignait déjà avec pertinence le Président John Fitzgerald Kennedy, qu'à « vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »…

Puisse cette modeste réflexion inspirer ceux-là mêmes qui sont aujourd'hui en charge de la conduite des affaires notre si tumultueux monde.

Jean-Chrios Moukala (membre du Réseau Congo 21)

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Cf. 1- le Congo-Brazzaville à l'aube du 21ème siècle : plaidoyer pour l'avenir. Ed. L'Harmattan. 2005. Coord. M.Nkaya ; 2- Pour une approche endogène du développement au Congo-Brazzaville. Ed. L'Harmattan. 2009. Coord. M.Nkaya

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François Soudan, " Jeune Afrique " et Ben Ali




Introspection de François Soudan, ci-devant rédacteur en chef de " Jeune Afrique "  dans un éditorial à propos des relations qu'entretenait son journal avec le régime de Ben Ali :

(...) " L'ancien régime [celui de Ben Ali, ndlr] n'a pas brandi, vis-à-vis de J.A., que le bâton de la censure. Il a aussi manié ce qu'il croyait être une carotte. Comme d'autres supports, Jeune Afrique a ainsi diffusé des pages de publicité commerciale dont le pourvoyeur unique et obligé était l'Agence tunisienne de communication extérieure. (...) Certes on peut valablement nous reprocher de ne pas avoir tout dit sur ce régime, en particulier de ne pas avoir dénoncé avec vigueur son aspect le plus détestable: sa kleptocratie familiale. L'eussions-nous fait que nous aurions depuis longtemps été interdits, privant nos lecteurs du soupirail de liberté qui leur restait (...).

Cela ressemble à une autocritique mais il n'en est rien. Pas plus que qu'avec l'ancien ambassadeur de Tunisie à l'Unesco (1) personne n'est dupe. On voudrait sauter dans le train en marche qu'on ne s'y prendrait pas autrement. La confirmation vient d'un ancien de la maison, le dénommé Ridha Kéfi pour qui « '' Jeune Afrique '' n'a pas mangé – ou pas autant qu'il l'aurait voulu – aux râteliers de Ben Ali » (à lire).

En tout cas Sassou peut remercier Ben Ali car il est dorénavant averti : il sait à présent qu'à sa chute, " Jeune Afrique " risque d'écrire sur la " kleptocratie familiale " des Nguesso, un " aspect détestable " de son régime sur lequel François Soudan, en plus d'une décennie d'interviews annuelles, n'a jamais, sauf erreur, pipé mot.

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(1)   Soutenant Ben Ali sur les médias français pendant la révolte tunisienne, il a tourné casaque dès qu'il a senti la fin du régime...





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"L'ascension sociale se faisant sans échelle, ceux qui se dégagent et s'élèvent ne peuvent que monter sur les épaules et sur la tête de ceux qu'ils enfoncent.." (Lanza Del Vasto).

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